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Avant qu’on enlève nos masques…

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Les pandémies ont cette réputation de changer nos rapports à l’autre, mais elles nous obligent aussi des pratiques qui incorporent nos vies, comme si ces pratiques relevaient de l’ordre naturel des choses. La nouvelle mutation opérée dans nos vies par la pandémie Covid 19, c’est le port de masque.


En effet, à force de le porter au quotidien, le masque finit par faire partie de nos routines. Sans le masque, on se sent manquer quelque chose, c’est comme si on s’apprêtait à sortir sans sa chemise ou son corsage. Au travail aujourd’hui, j’ai demandé à une collègue de me montrer son visage sans le masque, elle m’a sorti un visage étrange, comme si je lui avais demandé de me montrer une partie intime de son corps. Pour elle, enlever son masque est un peu dérangeant, infâme, un acte méritant d’être banni dans les salles communes. Le masque participe ainsi d’un élément du décor social.


Aussi, le masque devient un outil de contrôle social. On porte le masque pour ne pas se sentir isolé du corps social ou pour ne pas tomber sous la sentence «moralisatrice» des regards. J’étais sans mon masque dans un métro. Les regards qui s’étaient jetés sur moi me faisaient sentir que j’étais un pestiféré, un être anormal et même amoral. J’ai vite compris que c’est parce que j’avais oublié dans ma poche le précieux sésame. En enfilant mon masque, je me sentais intégré, accepté. Donc, le masque fait partie de la nouvelle morale sociale.


Néanmoins, «l’ère du masque» vient aussi changer nos façons d’aller vers l’autre. Hier, on pouvait se sentir, avant toute chose, attiré par un sourire charmant et ensoleillé, mais le masque nous prive aujourd’hui d’une telle délicatesse. Sinon, il faut initier un élément de conversation pour faire le «contact social». -Monsieur ou Madame est comment sans le couvre-visage? -C’est le code qui peut vous donner accès à l’autre. Donc, «la nouvelle culture du masque», «intimise» le sourire de l’autre. Pour y avoir accès, comme pour les parties intimes du corps, il faut l’autorisation de l’autre.


Comment, de ce fait, ne pas intégrer dans cette réflexion, l’élément esthétique de la chose? Là, je vais entrer dans une sphère de grande subjectivité. En effet, le masque, au-delà de sa fonction de prévention sanitaire, devient un élément de «jugement esthétique». Le masque, comme nos vêtements, a une façon de nous rendre stylé.e.s, beau.x ou belle.s. Il y’a une amie qui m’a dit que je suis plus beau avec le masque, car celui-ci cache mon nez de Pinocchio. Ainsi, le masque nous réserve des surprises sur l’apparence d’une personne. Pendant la pandémie, je passais plus de deux mois sans ne jamais voir le visage d’une collègue. Quand enfin je l’ai vue sans le masque, j’étais surpris. Le sourire que j’essayais toujours de lui coller au visage dans mon imagination n’avait rien à voir avec la réalité. Ainsi, l’enlèvement du masque peut changer soudainement notre regard sur l’autre. Tout est dans le sourire, dit-on. Cela étant dit, le masque peut nous apporter une «plus-value » ou une «moins-value » esthétique.


Donc, s’il y a un nouveau vocabulaire que nous impose la pandémie de la Covid-19, c’est alors celui du masque. Le port de masque se révèle un nouvel élément de la civilisation occidentale. Comme au temps de la peste, il fait partie d’un nouveau dispositif de contrôle social, ou, comme pour dire un peu à la Foucault, le masque devient un élément d’une «nouvelle biopolitique», c’est-à-dire, une nouvelle façon de prendre possession de nos corps sous prétexte de «surveillance sociale». Somme toute, avant qu’on enlève nos masques, il aura fallu encore un autre «temps social et politique», en vue de déraciner ce désormais phénomène de nos pratiques quotidiennes.


JWD

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