COMPLAINTES D'UNE FILLE KIDNAPPÉE
En mémoire d'Éveline Sincère et de toutes les victimes du kidnapping)

Un matin ensoleillé, au printemps de ma vie
Tout se bascule et se consume si vite autour de moi
Qu'il ne reste rien de mon passé ni de mon présent
Je vois sacrifier ma jeunesse et mon innocence
Au sanctuaire des psychopathes
En mal d'amour, lâchés sans laisse, dans la Cité
Dans l'indifférence complice des vigiles et du Patriarche
La nuit est longue et ma pensée voyage
Au rythme des heures qui s'égrènent
J'ai froid, j'ai chaud
Et ma vie se joue à l'autre bout du fil
Comme dans une partie de poker
Inutiles les palabres, trop vite file le temps
Je ne trouverai point d'argent
Des billets verts je n'ai jamais vus ni comptés
Dans cette ville fantôme, c'est un crime odieux
Il faut toujours en avoir pour nourrir les fauves déchaînés...
Mon origine m'a condamnée à mort
Au fond de mon sordide cachot
Je suis la risée de mes bourreaux
Qui me traînent dans la boue
Qui me frappent, me giflent m'insultent
Ils me transforment du matin au soir en une machine à sexe
J'ai pleuré, j'ai crié, j'ai hurlé
Ils n'ont aucune humanité
Quel démon les a créés ces salauds, ces sales cons !?
À l'aube, sur un tas
d'immondices
S'exposera mon corps dénudé et meurtri
Les voyeuristes, les pervers s'en régaleront
Me voici devenir une star de whatsapp, facebook, instagram
Rafler le grand titre des journaux
Quel drôle de gloire !
Je n'en demande pas mieux
Avant, je n'existe que sur du papier jauni...
On s'agite, on s'indigne, on érige des barricades
Justice ! Justice ! Justice ! crie-t-on en vain
Aux oreilles crasseuses des vilains
Mon origine m'a condamnée
J'ai les cheveux crépus et la peau foncée
J'incarne tous les "pitit sòyèt", les pieds nus
Qui n'existent que sur du papier jauni
Dans les tiroirs poussiéreux des archives de l'État civil
À l'aube au premier chant du coq
Toute la ville me conjuguera déjà au passé
Ainsi soit-il !
Et puis et puis et puis la vie continue
Chacun son heure, chacun son tour
Tel dans le Triangle de la mort
Où se déambulent des morts-vivants ou des vivants-morts
Antoine Junior
Junylevoyageur@gmail.com