Kokorat de BIC : Un coup de projecteur sur les causes de la débâcle sociale

Être artiste ne signifie pas fermer les yeux devant la réalité souvent horrible et déconcertante, mais au contraire demeurer en constant éveil tout en se donnant comme mission d’être un mage pour la société, et surtout de faire sienne cette philosophie des écrivains surréalistes : « changer l’homme, changer la vie ». Une conception qu’illustre bien la chanson Kokorat de BIC, de son vrai nom Roosevelt Saillant, un chanteur engagé et d’une grande profondeur dont le talent indubitable est apprécié et admiré par toutes les catégories sociales.
Le texte s'ouvre sur une série d'interrogations pour le moins bouleversantes et ahurissantes où se décrivent, sans langue de bois, et dans toute sa cruauté, le drame des enfants des rues et leur espérance. Ils sont légion les jeunes que le destin ou l’avarice des hommes a basculé dans la rue sans avoir aucune chance de s’en sortir un jour parce qu’ils sont prisonniers d'un système cannibale mis en place, selon un plan macabre, à longue échéance, et méticuleusement concocté, par l'oligarchie économique avec la complicité des élites politiques, et cela, avec toutes les conséquences dévastatrices qui en découlent.
Eske se ou ki sovè a ?
Ou ki vin wetem nan kras la ?
Eske se ou ki liberatè a?
Pale avèm pale avèm
Eske se ou ki vin retirem nan mikrob la ?
Ou ki gen projè ki gen kòb la ?
Eske se ou vin retirem nan lari a ?
Pale avèm pale avèm
Mwen la chak jou map gade pyeton kab pase, machin kab pase
Mwen la chak jou map gade sivil kab pase, leta kab pase
Mwen la chak jou map gade DG kap pase, ONG kap pase
Mwen la chak jou map gade sirèn kap pase, lespwa kab pase
Men pèsòn pa mandem ki sa map fè la
Délaissés et sans famille, ces déshérités du sort, peinent à survivre dans la rue, leur foyer d'accueil, avec tout ce qu'elle renferme d'aléas, de privations et de cruautés. Ils mangent dans les poubelles, dorment à la belle étoile, sniffent de la drogue, vivent au milieu des détritus au point de se fondre dans le décor vu qu'ils puent et déambulent en haillons, et ce, dans l'indifférence de la société, voire des autorités ou des organismes des droits humains qui, semble-t-il, n'ont aucun intérêt à ce que leur chaotique situation change tant elle sert parfois leurs intérêts inavoués et inavouables. Il n'y a aucune fierté ni dignité pour un enfant condamné à vivre dans un univers aussi cauchemardesque. C'est d'autant plus triste qu'il est livré à lui-même sans aucune perspective d’avenir, tempête le poète-chanteur, à travers des mots d'un accent à la fois émouvant et mélancolique.
Chak jou m' leve ma-l chache manje nan poubèl nan peyi a
Nan fatra nan peyi a
Si la meri tap ranmase fatra
Se mwen l- tap ranmase avan kòm dechè nan peyi a
Wi mwen se kokorat la
Rat ki pa gen moun kab panse pou li a
Wi mwen se kokorat la «Droit de l'Homme» ap pale de li a
Men pèsòn pa mandem ki sa map fè la
Afè sosyal reponn mwen souple !
Twal gaz mwen nan menm map siye machin bòs mwen yo.
Sak desann vit yo pou banm 5 gd respè pou yo wè
An atandan map li atik 22 nan paj 13 konstitityon 1987 la
An atandan map tann politisyen map viv nan mitan asyèt katon ak chyen
Mwen pa fyè de tèt mwen
Mwen pa renmen jan map viv
Men yo montre m demele gèt mwen
Fòm brase moun pou m siviv
Avec un réalisme cru, BIC dénonce l'indifférence des autorités face aux enfants des rues qui, au regard de leurs conditions de vie infernale, sont des menaces potentielles pour la société tant ils sont vulnérables à la manipulation de toutes sortes et de tout secteur ou individu mal intentionné et /ou véreux.
Mwen reprezante yon danje pou tèt mwen
Ak tout peyi a men gen lè otorite yo pa wè sa
Yo kontante y o banm mil goud poum bloke lari
Pi devan se yo m pral bloke si yo wè sa
Eske yon jou la vi m gen pou l chanje ?
Eske yon jou map viv ak dinite ?
Eske pitit mwen se la l pral leve ?
Eske eske...?
En effet, ce foyer de cancer que constitue le pullulement des enfants des rues, à travers diverses régions du pays, s'est aujourd’hui métastasé et a affecté tout le tissu social du pays qui se désagrège à petit feu sous le poids d'une insécurité criminelle inouïe avec son cortège de familles appauvries, de vies décimées, de femmes violées, mutilées et meurtries.
Ce super texte sorti en 2018 de BIC, auteur-compositeur, rappeur et slameur, nous interpelle tous en ce sens qu’il allume le projecteur sur les causes de la débâcle de la société. Une société où le chômage, la misère, l’ostracisme, bref, les inégalités criantes créent, chaque jour, de nouveaux Frankenstein, lesquels sont à la fois des victimes et bourreaux d'un système mafieux, en décomposition, qui achève de les déshumaniser pour ensuite les utiliser à des fins politiques et politiciennes dans l'intérêt de la bonne marche des combines des nantis ou des éternels fossoyeurs de la Patrie, en col blanc.
Antoine Junior
junylevoyageur@gemail.com