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Lancement des observatoires des industries culturelles et créatives

Discours du recteur Jacky Lumarque

echoayiti.com


Lancement « Observatoire des Industries Culturelles et Créatives » Centre de Conservation des Biens Culturels de l’Université Quisqueya Jeudi 31 mars 2022

Madame la Ministre de la Culture,

Madame la Ministre du Tourisme,

Madame la Représentante de l’Union Européenne,

Madame la Représentante de Viva Rio,

Chers Représentants du corps diplomatique,

Cher Jacques-Édouard Alexis, membre fondateur de l’UniQ,

Chers Membres de la presse,

Chers Universitaires,

Cher.e.s Étudiant.e.s,

Cher.e.s Invité.e.s,


« La culture est ce qui nous reste quand nous avons tout oublié » dit le dicton, j’irais plus loin : « C’est ce qui nous reste quand nous avons tout perdu ». Haïti est l'incarnation vivante de cette assertion. En effet, dans les ténèbres où nous nous engouffrons depuis quelques temps, la culture semble être la seule lueur d'espoir qui nous tienne debout. Je pense, entre autres, au couronnement du film Freda de Gessica Généus, à l'ascension récente de notre "soupe joumou" au rang de patrimoine culturel de l’Humanité, aux succès rencontrés par nos danses et nos musiques dans les grands rendez-vous internationaux tels que la Carifesta, aux prix littéraires qui saluent le travail de nos auteurs. Tout ceci, sans qu'on n’ait véritablement rien semé, sans le moindre encadrement de l'État. Nous nous contentons de récolter, sans aucun mérite, le fruit de ce que Malraux avait identifié comme étant le génie populaire haïtien; à savoir une sorte de don naturel à la création artistique, sans doute, en grande partie, dû à notre histoire singulière en tant que nation. En réalité, ce projet d'Observatoire des Industries Culturelles et Créatives est une provocation, une sommation à nos dirigeants et à nos élites de revoir leur copie en ce qui a trait à leurs rapports à l'art et à la culture dans ce pays. Jusque-là, disons-le, un secteur, mal-aimé, laissé pour compte, abandonné, incompris et, je pèse mes mots, un secteur qui bénéficie de peu de considération, d'aucun investissement, sur lequel nous ne possédons aucun chiffre, pas la moindre donnée réelle pouvant éclairer une politique culturelle digne de ce nom. Pour preuve, le Ministère de la Culture n’est toujours pas, à cette date, supporté par une loi organique ; concrètement un gouvernement pourrait sans aucune difficulté décider de le supprimer de l'appareil d'État. De même, aucune chambre de commerce du pays n’a encore intégré le secteur culturel en son sein. Ces faits en disent long sur le peu d'intérêt du pouvoir et des élites pour la culture chez nous.


D'ailleurs, le simulacre de carnaval qu'on nous offre tous les ans semble être l'unique mission du Ministère de la Culture qui, malgré cela, trouve le moyen de le rater. Attention ! Je ne remets pas en cause la capacité individuelle des occupants du poste - je ne suis pas sans savoir que l’actuelle Ministre, Mme Prophète-Milcé, a été récompensée du prix littéraire Fetkann 2021, j’en profite pour l’en féliciter- mais il s’agit bien d’un problème structurel et de mode de gouvernance.


En effet, ce manque de résultat ne doit pas étonner quand on sait le « turn over » vertigineux dans ce Ministère, pris en otage par les politiques qui l'utilisent comme monnaie d'échange dans les marchandages politiciens, comme, excusez-moi l'expression, maison de passe où l'on vient tirer son coup et se barrer sans crier gare. Que pouvons-nous espérer de mieux de ces pratiques ? Sinon l'improvisation, l'amateurisme, la médiocrité, en ce sens où l'on se contente de peu dans un domaine où, s’il était réellement pris en main, nous pourrions exceller. Un domaine qui, s'il est considéré à sa juste valeur, pourrait peser de tout son poids dans l'économie nationale et porter notre rayonnement au-delà de nos frontières.


D’ailleurs, si l’on veut parler de soft power dans le cas d'Haïti, la culture demeure un passage obligé, un choix stratégique à faire. C'est, en effet, probablement la seule caution que nous ayons encore, pour ne pas dire le seul domaine dans lequel nous jouissons encore d'un capital crédit dans le monde, le seul où nous pourrions relativement aisément nous positionner, avoir une place de choix. Nous représentons, par exemple, eu égard à notre histoire, le seul lieu légitime pour accueillir un musée ou encore un parc de l'esclavage et de la révolution anti-esclavagiste, symbole de la libération des peuples opprimés, de la liberté universelle. Haïti pourrait être la Mecque pour tous les Noirs de la terre et plus généralement pour tous les peuples opprimés mais aussi le lieu de repentir des anciens oppresseurs et, à ce titre, accueillir des millions de visiteurs tous les ans sur son sol. Imaginez une seconde l'impact en termes de notoriété et de retombées économiques que cela pourrait représenter. Mais encore faut-il bien y travailler, faut-il bien s'y investir.


C'est précisément ce que nous propose ce projet d'Observatoire, observer, mesurer pour agir rationnellement, faire fructifier nos atouts et potentiels grâce à des politiques et des investissements rationnels dans le secteur. Qui, aujourd'hui, connaît les chiffres de l'industrie des arts plastiques ici, celle du konpa, du vodou? Pour ne citer que celles-là. Personne. Ce projet, qui vise à mettre ensemble les acteurs du milieu, les chercheurs, les économistes, à favoriser la recherche dans le champ culturel -ce qui est du ressort de l'Université- à en faire une préoccupation, peut justement nous offrir ce tableau de bord qui constitue une condition sine qua non pour la bonne décision en matière de politiques publiques, mais aussi en matière d’investissements privés. Pour permettre enfin à nos atouts considérables sur le plan de la culture et de la créativité artistique de s'épanouir, de s'exprimer, de jouer pleinement leur rôle en termes de renforcement identitaire, de ciment entre les Haïtiens quelles que soient leurs origines sociales, leurs teintes de peau, et, plus que tout, pour permettre au secteur de jouer son rôle de levier économique de par sa capacité à créer de la richesse et des emplois.


Haïti doit aller chercher sa part de marché dans ce secteur juteux que l’on appelle l’économie orange. L’apport de la culture dans l’économie française s’élève à 49,2 milliards d’euros. Notre voisin, la République Dominicaine a généré, avant la Covid-19 en 2018, environ 6,40 milliards d’euros grâce à son industrie touristique, dont le tourisme culturel. Cela représente 9,3% de son PIB et 20% de toutes les recettes touristiques dans les Caraïbes.


Il paraît que nous avons des richesses dans notre sous-sol, ceci reste à vérifier et serait une bonne nouvelle pour le pays mais il ne fait aucun doute que nous avons une culture immensément riche. Nos patrimoines tant matériels qu'immatériels sont bien réels, nos fortifications et palais, notre cuisine, nos musiques, nos danses, notre littérature, nos arts sont bel et bien réels et ne demandent qu'à être mis à profit et à être partagés avec le monde dans notre propre intérêt et pour le bonheur de l'humanité.


Alors, ne tergiversons plus, mettons-nous au travail !

Jacky Lumarque Recteur de l’Université Quisqueya

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