Le drame d'habiter et de vivre en Haïti
Dernière mise à jour : 9 avr. 2022

Haïti offre, depuis bien des temps, le spectacle d'une cité hantée, voire maudite où l'horreur et des scandales sont au rendez-vous au quotidien. L'anarchie et le chaos sont tels que le temps, l'espérance, la vie, tout semble s'arrêter. Le pays se désagrège et se meurt à petit feu, ce, au vu et au su des autorités qui se foutent de nous. De nous tous. Une situation pour le moins dramatique pour la population qui, toute catégorie sociale confondue, ne sait à quel Saint se vouer. Car l'insécurité touche tout le monde: riches et pauvres, petits commerçants, étudiants, professionnels, hommes d'affaires, laïcs, religieux et officiels. Bref, personne n'est à l'abri. N'est-ce pas un drame d'habiter et de vivre en Haïti?
Dans cette Haiti, à la fois hantée et meurtrie, rien ne nous enchante ni nous rassure. Le chômage grimpe, la misère se fait de plus en plus grimaçante. Les visages sont crispés et les coeurs endoloris. Qui pis est, les villes, même celles qui naguère étaient si paisibles, sont devenues des tombeaux à ciel ouvert. On y déambule comme des morts-vivants ou des vivants morts. Tout dépend de la volonté, des caprices ou du fantasme des gangs et des criminels notoires qui courent, jour et nuit, en toute impunité, les villes et sèment la terreur, augmentant ainsi, chaque jour, la liste des sans-abris, des veuves, des orphelins, des estropiés, des traumatisés. Sans oublier, les familles décapitalisées, et surtout les femmes ou jeunes filles violées et mutilées. Il faut dire aussi que chez nous, contrairement à d'autres pays, les efforts ne se récompensent pas. Les études, les diplômes ne valent pas grand chose. Même avec un master ou un doctorat, on risque de vivoter.
L'horreur est bel et bien devenu notre quotidien. Un fait divers. Pire encore, notre mode de vie. On n'y peut rien. Triste et révoltante réalité. Et la déchéance est telle qu'on ne s'étonne ni ne s'offusque plus devant le non sens, l'indécence, la bêtise ni l'odeur puante de la Cité. Au contraire, on s'y adapte, on s'y résigne ou on tente de fuir, par tous les moyens, le pays vers d'autres cieux plus cléments, et avec tout ce que cela comporte parfois comme illusion et déception. Désespérés, certains rejoignent le camp des voleurs et des assassins en haillon ou en costume. Parfois, stratégie de survie oblige. D'autres, opportunistes, y adhèrent par calculs, bien souvent sans éthique ni grandeur.
La population vit avec le sentiment d'être abandonnée par ceux-là même qui sont censés la protéger. Elle est livrée à elle-même. L'État n'existe pas, la justice n'existe pas. Le vivre ensemble n'existe pas. Bref, la Nation n'existe pas. Pour se protéger et protéger sa famille, on se barricade, on égrène des chapelets ou on invoque des loas. Mais les dieux sont restés sourds à nos supplications. Peut-être nous repprochent-ils notre désobéissance et notre déracinement. Pour comble de malheurs, aucune lueur d'espoir ne semble apparaître au bout du tunnel. Chaque jour, on s'enfonce davantage dans le marécage du pire. C'est ce qui est le plus terrible. Alors que pendant un certain temps, il faisait relativement beau de vivre en Haïti. Et on pouvait vaquer à ses occupations, voire s'amuser avec une certaine quiétude.
Fini le temps des randonnées entre amoureux sur les places de Champ-de- Mars ou d'Italie. Fini les activités nocturnes rythmées de kermesses et de bals, au pas cadencés d'excellents cavaliers et cavalières. Fini le respect des personnes âgées et de l'autorité. Fini les comptines, les jeux de marelle, de cache-cache, d'osselets entre les enfants, parents ou amis(es). Fini les clubs littéraires où des jeunes avides de savoir discutaient, dans une ambiance saine et bon enfant, de littérature, d'art, de philosophie, de science... Ha! les êtres, les choses ont tellement changé qu'ils ne sont plus reconnaissables! Les mœurs et les valeurs aussi! On est devenu la risée du monde. Comment en est-on arrivé là? Qu'avons-nous fait de ce pays, jadis si prospère et si paisible? Haïti s'achemine-t-elle vers le fond de l'abîme?
Triste est de constater que le compte à rebours a déjà commencé et bien longtemps déjà, ce, depuis le jour où des crétins sonores et arrogants, des voleurs, des gangster, des kidnappeurs, des criminels notoires, bref, des "bandi legal" peuvent devenir magistrats, ministres, sénateurs, députés, présidents, voire des juges ou des bergers. Depuis le jour où nos écoles et nos églises adoptent le mercantilisme comme valeur tout en regorgeant de mercenaires, de pirates et de prédateurs sexuels. Depuis le jour où le savoir, la science, la morale et les valeurs républicaines sont écartés des grands débats généraux ou des prises de décisions sur la politique, l'économie, la santé, l'environnement, la sécurité, la justice pour laisser place à l'amateurisme, à la démagogie, au mercantilisme politique...
Seul un sursaut national, à travers une prise de conscience collective, pourrait nous éviter la descente vertigineuse et aveugle au fond de l'abîme, si on n'y est pas déjà. Nous avons fait les révolutions de 1804, 1843 et 1986. Alors ne sommes-nous pas assez aguerris pour rééditer ces exploits dans l'intérêt de tous afin que nous puissions recouvrer notre humanité et notre dignité de peuple, et surtout, à fin que tous les fils et toutes les filles du pays qui sont forcés de vivre ailleurs, non sans nostalgie et amertume, puissent revenir participer à un coude à coude fraternel, dans le cadre du grand chantier de la reconstruction nationale?
Antoine Junior
Junylevoyageur@gmail.com