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Le système institutionnel bâti par Vladimir Poutine est-il durable? Pourquoi?

Dernière mise à jour : 13 avr. 2022

John Wesley Delva

echoayiti.com

Successeur de Boris Eltsine, Vladimir Poutine issu du KGB, arrivera à la tête du pouvoir russe dans un contexte tout particulier. Il héritera une économie en manque de croissance, une société civile désinstitutionnalisée, une Russie dont l’image sur le plan international est en berne, des institutions faibles et affaiblies, une Russie ruinée par la corruption et le clientélisme, une société clivée, prise en otage par une oligarchie vorace. Élu au suffrage Universel avec 52,94% des votes, Poutine correspondra au modèle présidentiel tant attendu par les russes, encore nostalgiques de la période soviétique, du moins stalinienne. Sinon l’annexion de la Crimée, et la crise en Ukraine, ont permis à Vladimir Poutine d’incarner de nouveau une Russie dominante autour des valeurs conservatrices rassemblant la nation (Kastoueva 2015). La grande machine politique poutinienne va prendre de l’ampleur et s’organise pour mener un travail aussi difficile qu’intéressant. Car au lendemain de son accession au pouvoir, le chef du kremlin aura pour objectif de replacer la Russie au centre du jeu mondial, reconstruire un état, qui soit également une puissance prospère et qui compte dans le monde globalisé. Toutefois, au lendemain de son avènement au pouvoir, Poutine, sans être décevant, va commencer à marquer de son sceau le cours de l’histoire en érigeant son propre système, dit système Poutine auquel on collera toutes les étiquettes.


Lorsqu'ils cherchent à définir le système mis en place par Poutine, les observateurs recourent à des qualifications singulières qui illustrent leur perplexité : "démocratie dirigée", "autoritarisme bureaucratique", "militocratie libérale"... (Garrigues 20040). On pourrait aussi ajouter, ne serait-ce qu’en reprenant la terminologie de Jean Robert Rabiot technocratie, démocratie de masse, etc... Pour peu que les terminologies demeurent importantes, la réalité empirique, structurante, institutionnelle du pouvoir russe demeure encore plus préoccupante. Le système institutionnel mis en place par Vladimir. Poutine est-il durableɁ En réponse à cette question, nous avançons l’hypothèse suivante: le système poutine est durable pour être corroboré par un ensemble de mesures et de stratégies de reformes.


Pour répondre à notre hypothèse, nous nous donnerons pour taches suivantes: camper sinon de définir les caractéristiques du système poutinien, ensuite poser les forces et les faiblesses de ce système. Et pour mener à bien notre démarche, nous allons mobiliser l’approche néo-institutionnelle. Cette approche nous permettra de voir comment l’État, les institutions, les lois/ reformes de la constitution ont été mobilisés au cours du déploiement du régime Poutine (Gazibo, 2015).

La définition du système poutine


L'URSS n'est plus, le communisme a disparu d'Europe et pourtant les héritiers du KGB soviétique règnent en maître à Moscou. Vladimir Poutine - ancien officier des services secrets - achève son deuxième mandat de président de la Russie, mais ni lui ni ses acolytes n'ont l'intention de quitter le pouvoir. Comment en est-on arrivé là? Il y a trente ans, le chef du KGB, Iouri Andropov, a voulu réformer l'URSS qui courait à sa perte. Son plan a échoué. Ses disciples ont été pris de vitesse dans la tourmente qu'a connue la Russie à l'époque de Boris Eltsine. Depuis, les hommes de l'ombre ont tout fait pour reprendre le pays en main. Avec Poutine, c'est chose faite. Libertés en berne, médias muselés, opposants réduits au silence, un ordre sinistre s'est instauré sur cette immense nation. (Thierry Wolton, 2008)

Démocratie souveraine, démocratie dirigée, oligarchie, autocratie, nouveau tsarisme, néo féodalisme autoritaire, corporatie, capitalisme monopolistique contrôlé par l’État. Les définitions du système russe n’en manquent pas. (Kastoueva 2015). Le professeur Rabiot de son cote définit le système poutine comme étant un système prétorien. La notion de prétorianisme est le fil conducteur qui permet de comprendre l’action politique menée au sommet de l’État russe en politique extérieur et entrevoir à la veille de l’Élection présidentielle de 2018, les évolutions possibles de l’exercice du pouvoir en Russie. A l’origine de ce prétorianisme fut un reflexe d’agrégation d’une partie de l’Élite russe autour de son nouveau chef politique, Vladimir Poutine. Ce dernier, dès son accession à la présidence, a immédiatement fait comprendre qu’en rupture avec Boris Eltsine, il portait l’esprit revanche des défenseurs de l’État contre l’emprise oligarchique sur le pouvoir et les secteurs stratégiques de l’économie russe(ibid.). Cela dit, le prétorianisme comme phénomène politique est une composante majeure de l’évolution politique russe depuis 2000. Il se caractérise par une concentration du pouvoir et des ressources (administratives, financières et médiatiques) autour de l’institution du chef de l’État qui est le vrai chef de l’exécutif.


Pour Marie Mendras, auteur de «comment fonctionner la Russie», le système Poutine est un système de réseaux et de groupes d'intérêt, où deux types d'acteurs sont devenus très importants. Ce sont d'abord des acteurs économiques: les patrons des entreprises productrices de matières premières: pétrole, gaz naturel, bauxite, aluminium, or et même bois. Ils tiennent les ressources financières de l'État, qui vit à plus de 50 % des revenus des ventes de ces matières premières. Pour gérer la principale richesse de l'État, le pouvoir est obligé de s'entendre avec eux. Les seconds acteurs très influents sont les dirigeants des régions et des villes. En dépit des tentatives du pouvoir central de les mettre au pas, ils restent puissants dans leurs territoires, notamment parce qu'ils ont noué des relations étroites avec les entreprises.


Les mesures pour consolider ce système: la reforme constitutionnelle et la verticale du pouvoir


Cependant, ce qui fait la force du système de Poutine, ce sont les mesures de consolidation du pouvoir. Il instaure un principe fondateur qu’il nomme la «verticale du pouvoir». En effet, la verticale du pouvoir constitue l’un des meilleurs résumés du fonctionnement du système politique russe et de ses ambiguïtés (Fauconnier 2020). Évoquée par le président lors de sa toute première adresse à l’Assemblée, le 8 juillet 2000, elle a visé tout d’abord la mise sous contrôle des élites régionales, puis, par extension, du personnel politique, voire de la société dans son ensemble. Sa mise en place a accompagné l’instauration d’une forme d’autoritarisme renouvelé, qui s’accommode d’une Constitution formellement pluraliste et d’échéances électorales régulières. Mais la volonté de refonder un système sur la prééminence de l’exécutif central est également entrée en tension avec des logiques de fragmentation déjà présentes, produisant des effets sur les modalités de gouvernement à l’œuvre en Russie, vingt ans après l’arrivée de Vladimir Poutine au pouvoir (ibid.). On peut dire qu’il s’agit d’une forme de gouvernance centralisée, ou Moscou détient le monopole du pouvoir, en réponse la dualité constante qui existait entre le pouvoir et les provinces fédérées.


En terme concret, disons que Poutine aura une plus large marge de manœuvre quant à la gouvernance du pays. C’est en ce sens que V. Poutine annonce que les gouverneurs ne seront plus élus au suffrage universel, mais désignés par les parlements régionaux sur proposition du président, et donc, de fait, nommés par le chef de l’exécutif central. Il faut préciser que Dimitri Medvedev voulait prendre quelques mesures d’assouplissement, en accordant la possibilité aux gouverneurs de se faire élire au suffrage universel, mais cela n’a pas fonctionné. En dépit des effets d’annonce sur la démocratisation accrue de la vie politique, cette nouvelle série de réformes n’a en réalité pas modifié l’architecture générale du pouvoir. La verticale partisane étant désormais suffisamment installée et solide, sa domination du paysage politique russe a permis de garantir l’élection de candidats adoubés par l’exécutif central aux postes de gouverneur et dans les circonscriptions majoritaires.


Reformes constitutionnelles comme base légitimes du renouvellement du système Poutine


Pour assoir son autorité, le système Poutine s’est appuyé sur un cadre normatif constitutionnel. Autrement dit, aussi autoritaire qu’il pût être le système Poutine avait des bases légales, voire constitutionnelles. Poutine, comme l’aurait dit Marie Mendras, aura fait un bon remue-ménage institutionnel pour consolider les bases de son système. En effet, le premier coup constitutionnel opéré par Poutine. C’était en 2004. C’est pour affaiblir les institutions républicaines et régionales; et le second en 2007-2008 pour imposer le tandem Poutine-Premier ministre et Medvedev-président (Poutine restait de facto numéro un et reprenait la présidence quatre ans plus tard), et rallonger le mandat présidentiel de quatre à six ans (Mendras 2020). Derrière l’écran de fumée de la «réforme constitutionnelle», le Kremlin veut verrouiller un peu plus la Russie, et ses 140 millions d’habitants, dans un système dépolitisé, sans contre-pouvoirs, où les institutions appartiennent aux dirigeants, qui n’ont pas vocation à échanger avec leurs administrés.


Pourquoi était-il si urgent, pour un président aux larges prérogatives, élu jusqu’en 2024, de faire un nouveau «coup» constitutionnel ? Pourquoi faire fi des dernières apparences démocratiques en faisant voter les modalités au pas de course et à l’unanimité, le 21 janvier, par un Parlement aux ordres ? L’urgence était de fermer pour de bon la question de la succession politique. Même dans un système autoritaire, le chef qui exerce son dernier mandat est affaibli par la perspective de son remplacement possible. Poutine craint la concurrence et la contestation. Il doit convaincre qu’il restera président du Conseil d’État ou d’une autre structure construite spécialement pour lui. Il s’agit d’empêcher toute alternative crédible d’émerger, et d’enterrer la notion même de succession et d’alternance au pouvoir. Il faut garder au feu plusieurs scénarios, car les années à venir ne seront pas un long fleuve tranquille. Depuis les grandes manifestations de 2011-2012, et la contestation de l’été 2019, les dirigeants connaissent la peur de la foule, la peur de chuter. Poutine doit absolument préserver son impunité s’il quitte le pouvoir. Opportunément, la Constitution révisée renforcera encore l’immunité des ex-présidents de Russie.


Malgré le roc solide que constitue le système Poutine, mais il présente bien des failles, sinon des faiblesses qui portent à relativiser. La logique qu'il faut faire est la suivante: «S’il était réellement soutenu par sa population, un pouvoir autoritaire aurait-il le besoin urgent de rebattre les cartes et d’afficher publiquement sa précipitation?», s’interroge l’opposant démocrate Vladimir Milov. Le vote populaire est devenu encombrant. Rappelons qu’aux dernières législatives en septembre 2016, et aux municipales de Moscou en septembre 2019, le «parti du pouvoir», Russie unie, a fait un score médiocre au regard de ses avantages gigantesques en termes de financement et d’accès aux médias, de capacité de manipuler les résultats, et surtout en l’absence des opposants les plus connus, emprisonnés ou déclarés inéligibles comme Alexeï Navalny. Pendant l’été 2019, de nombreuses manifestations ont eu lieu dans les grandes villes de Russie. Des dizaines de milliers de jeunes s’engagent en politique et soutiennent activement les mouvements d’opposition. Plusieurs d’entre eux ont été condamnés à de lourdes peines de prison cette dernière année.


Le «système Poutine» n’est pas une belle structure pyramidale, mais une constellation de clans et de chefs, de réseaux économiques et administratifs, où tous attendent du leader des garanties et des protections. Vladimir Poutine est-il toujours l’arbitre des intérêts des uns et des autres? Son autorité dépend essentiellement de cette capacité d’arbitrage, de distribution des prébendes, et surtout de protection contre des sanctions économiques et judiciaires. Après l’annexion de la Crimée et l’intervention russe dans l’est de l’Ukraine, les sanctions votées par les États démocratiques ont affecté les intérêts de nombreux dirigeants et hommes d’affaires russes.


Au-delà du sort de l’homme fort, l’enjeu est donc la survie de tout un système clientéliste. Pour se maintenir au sommet, et ne pas être évincé par les siens, Poutine mise sur son rôle de chef de guerre. Il doit rester le leader incontesté de la Russie sur la scène internationale. La défense de «la nation en danger» et les conflits armés le protégeraient d’une révolution de palais, car il en impose au monde entier et recourt à la force sans état d’âme. Cette fuite en avant l’entraîne inéluctablement vers le refus de la négociation en Ukraine et l’interventionnisme militaire en Syrie, Libye et autres pays déchirés par des conflits. La Constitution révisée stipulera que le droit national prime toujours sur le droit international et les conventions signées avec d’autres États (Mendras 2008).


En chahutant une construction politique déjà fragile, Poutine prend des risques. Il dénonce les errements de l’administration et lâche quelques-uns de ses boucliers, comme le Premier ministre sortant Medvedev. Il s’expose. Or il n’a guère à offrir aux Russes dont le niveau de vie baisse, hormis des mesures de redistribution à certaines catégories sociales. Les inégalités continuent de croître, tout comme la méfiance envers «ceux d’en haut ». Selon un sondage du Centre Nevada de fin janvier 2020, les trois quarts des personnes interrogées ne font confiance ni au gouvernement, ni au Parlement, et seulement un tiers fait confiance à Poutine(ibid.).

Les Russes n’ont pas à craindre une nouvelle dictature stalinienne, mais un système prédateur et oppressant. Les patrons et loyaux serviteurs de ce régime ont un but, survivre, et une méthode, sauver leurs privilèges et monopoles. Ils n’y réussiront pas à terme, car la société russe a changé et veut vivre mieux, sans faire la guerre. Les élites et classes moyennes sont inquiètes et ne voient plus d’avenir en Russie, et les mouvements sociaux sont de plus en plus combatifs.


Somme toute, Poutine a mis en place un système historique et institutionnel qui va durer. D’abord, parce qu’il joue sur les leviers intentionnels et propagandistes pour influencer et faire pérenniser l’opinion en sa faveur. La verticale du pouvoir, ensuite, qui lui permet et qui permet à son régime d’avoir emprise sur les leviers sociaux économiques, politiques, et sur toutes les composantes de la société russe. Il est capable, par le pouvoir qui est ancré dans l’imaginaire collectif russe, de faire changer la roue de l’histoire en sa faveur, d’autant que Poutine a réalisé d’énormes coups positifs en termes de progrès économiques et infrastructurels. Il a un bilan relativement positif pour certains russes, même s’il n’y a pas démocratie dans le pays au sens occidental. Ce qui reste un facteur majeur dans la pérennisation de son système, c’est le dirigisme économique, l’autoritarisme, lié à la verticale du pouvoir, qui se conjuguent pour ancrer ce système dans une temporalité longue. Mais il amène aussi avec lui de nombreuses modifications sinon de reformes institutionnelles pour donner un caractère plutôt légal à son règne. En absence de l’opposition politique et la Douma, Poutine, c’est le seul monarque qui doit régner, sinon vous risquez la prison ou l’exil. En tout cas, si le système mis en place par Poutine va tomber, ce n’est vraiment pas pour demain.


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