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Se solidariser avec les policiers en difficulté: Un devoir citoyen

Par Jean Willy Belfleur

echoayiti.com

L’agissement malsain, la brutalité policière, la complicité de certains agents de la police d’avec les associations criminelles ne doivent pas nous déshumaniser jusqu’à nous faire perdre de vue de ce qu’est la police en général dans l’appareillage des classes dominantes pour la gestion de leurs pouvoirs et la défense de leurs intérêts de classe. C’est-à-dire dans la constitution des relations de propriété économique, dans la division sociale du travail au sein même des rapports de production et de reproduction.


Approche théorique sur la nature et la mission de la police


La police comme élément de la superstructure à un rôle spécifique et fondamental à jouer pour le maintien du statuquo. C’est un organe répressif, l’expression de la violence «nue», pour parodier Nicos Poulantzas dans "l’État, le pouvoir, le socialisme", que détient les classes dominantes pour les besoins de leur cause. Qu’il en soit bien clair ! La Police appartient à cette catégorie d’appareils qui relève de la sphère de l’État et elle est «fille» des appareils idéologiques d’État. «[…] Etant bien entendu que l’idéologie dominante intervient dans l’organisation des appareils (armée, police, justice-prison, administration) à qui revient principalement l’exercice de la violence physique légitime».


A travers ce pamphlet, j’entends attirer l’attention d’une certaine opinion publique sur la nature, la fonction et le rôle de l’institution policière dans ce système mondial que nous nommons avec Alain Badiou le «capitaloparlemenntarisme» ou le «capitalisme impérial», afin de prévaloir l’humanité sur le ressentiment exprimé vis-à-vis de nos policiers et policières en proie à la fureur des gangs criminels sans foi ni loi en Haïti. Loin de défendre l’institution qui s’appelle : Police nationale d’Haïti, (PNH), il s’agira plutôt d’une mise au point d’ordre éthique. Il est aussi hors de question de vouloir disculper la PNH dans ce carcan que nous nous trouvons depuis plus

d’une décennie avec ce régime gangocratico-réactionnaire.


L’institution a bien évidemment ses responsabilités et les agents tant individuellement que collectivement ont les leurs, aussi. Cependant l’institution mérite quand même notre attention et ses membres notre plein soutien dans ses moments pénibles face aux gangs criminels qui se déchainent contre eux. Maintenant, la tâche ardue qui m’incombe en posant ces prémices, apparemment contrastés, est d’établir en quoi nous sommes liés à l’institution et à ses membres au point d’être obligés de venir à leur rescousse en ces moments catastrophiques.


Pour commencer cette petite réflexion sur ce point particulier en rapport à la conjoncture socio politico-économique en Haïti, permettez que je convie par une approche structurelle de la question de l’État, tel qu’élaboré par le penseur Allemand, Friedrich Engels, rapporté par GILBERT MURY, dans son texte intitulé : «ENGELS Théorie de la violence», pour pouvoir tenter de mettre en lumière la fonction de la police dans le fonctionnement de l’appareil bureaucratique des classes dominantes dans le monde et inclusivement en Haïti.

Le point le plus important dans la définition marxiste de l’État, telle que la formule Engels, le pouvoir politique reflète une structure sociale donnée, un certain ensemble de rapports entre les classes, et, en particulier entre exploiteurs et exploités. Ce qui compte, c’est beaucoup moins le nom ou la clientèle de l’homme ou du parti chargé de gérer les affaires publiques, que le fonctionnement de l’appareil bureaucratique, économique, policier, militaire.


La police organe de répression du système ou organe de protection et de service


En effet, comment faut-il comprendre la police, en tant qu’organe de l’État protecteur ? Ou en tant qu’appareil étatique faisant partie d’un dispositif de contrôle, de domination, de répression et d’asservissement ? Ou encore en tant qu’un organe de bienfaisance dont sa fonction résume en protection et service ? La façon dont vous comprenez la police du point de vue de sa nature et de son rôle dans le système est prépondérante dans la position du problème. Car, selon votre conception de la police, vous saurez de quoi est-ce que vous devez la reprocher et à quoi vous devriez vous attendre dans ses agissements. Sinon, vous pourrez produire des jugements erronés sur cette institution en ne sachant sa vrai nature ontologique et son authentique fonction dans le cadre de ce système établi.


Est-ce que réellement la vraie fonction des policiers est de protéger et servir ?

Trop souvent vous vous plaignez d’avoir été réprimés, voire bastonnés par des agents de police au lieu d’être protégés et servis par eux. En vous entendant pleurnicher comme ça, je vous ris et en suite je m’attriste de votre «ignorance» ou du moins, pour être plus gentil, de votre naïveté. Parce qu’en fait, la police fait le travail qui lui convient. Elle remplit sa fonction en conformité avec sa définition ontologique d’agent de maintien d’ordre et de répression. En cela, il est convenable suivant sa nature et sa mission de vous réprimer violemment quand vous menacez de perturber ou de renverser l’ordre qu’elle est censée appeler à maintenir. Or, vous vous amusez à dire qu’elle ne vous accompagne pas, qu’elle ne vous protège pas, qu’elle ne vous sert pas. Il s’agit dans ce cas de vous méprendre sur le rôle de la police et/ou des agents de police. Car, pour dire les choses, telles qu’elles sont, s’il faut protéger, il ne s’agit pas de protection pour les classes dominées. Mais plutôt de protéger et servir les classes dominantes en réprimant les classes exploitées, dominées et défavorisées. Car, la raison du plus fort est toujours la meilleure, nous écrivît, Jean de Lafontaine, dans sa fable «le loup et l’agneau».


Ainsi donc, la répression de la police n’est pas le fruit du hasard. C’est pourquoi, je refuse de parler de bévues policières quand la police réprime dans le sang les manifestations revendicatives des couches populaires et des masses. Pour moi, c’est impropre, étant donné sa nature répressive. En ce sens, je vous réfère au propos de Poulantzas quand il a écrit : «Par répression, il faut entendre, en tout premier lieu, la violence physique organisée, au sens le plus matériel du terme, de violence sur les corps. Un des aspects essentiels du pouvoir, la condition de son instauration et de son maintien, c’est toujours la coercition des corps, la menace mortifère. Certes, le corps n’est pas une simple naturalité biologique, mais une institution politique : les rapports de l’État-pouvoir au corps sont autrement plus compliqués et étendu que ceux de la répression. Il n’empêche que l’ancrage de l’État reste toujours aussi son inscription contraignante sur les corps par des moyens physiques, la manipulation et la dévoration des corps».


Police et société, changement de paradigme


N’est-ce pas, à mon avis, dans ce prisme qu’on devrait saisir ce que la police peut bien vouloir signifier ? Sinon, nous serons limités à comprendre les limites et la nature du pouvoir réelle de la police. Maintenant, après avoir posé les bases théoriques et idéologiques de l’État et celle de la police, un de ses appareils répressifs, il convient de mettre l’accent sur le nœud du sujet : les couches démunies et la police.


Quel doit être notre rapport à la police pourvu qu’elle est là pour nous réprimer ?


La première chose qu’il me semble que nous devons faire, c'est de s’attaquer à ce système qui érige la police entre autre organe répressif contre nos classes. Ensuite nous devons réorganiser l’État avec les institutions que nous jugeons nécessaires tout en les attribuant les fonctions et les missions que nous estimons nécessaires pour concourir à notre bien-être collectif. Il est possible de réorienter une force de police. Il n’est pas inconcevable d’avoir une force de police professionnelle destinée à servir et protéger véritablement la société dans son ensemble. Néanmoins, cela doit être un corollaire d’un projet de société bien pensé, bien ficelé. Une autre considération avant d’instituer un nouvel ordre social en Haïti, cette police que nous payons, entretenons et alimentons à l’aide de nos taxes peut bien être améliorée. Nonobstant, une réforme en profondeur, car cette force de police est politisée et gangstérisée à plus de 50 % suivant les chiffres d’une organisation des droits humains : ICKL, dans un rapport publié récemment, qui a été contesté par un responsable de la PNH.


Attitude des citoyens face à une police ganstérisée et politisée


​Le fait que la police est politisée, gangstérisée, faut-il ne compatir à son sort ? Je ne pense pas qu’il faut jeter l’enfant avec l’eau du bain quelle que soit la laideur monstrueuse d’un tel enfant. Car, les membres de cette institution sont des nôtres. Ils se sont inscrits là-dans principalement pour survivre. Ils sont tous et toutes de notre classe. Bien qu’apparemment, ils représentent une force de répression qui contribue à instaurer et renforcer la domination, pourtant ils sont eux-mêmes des opprimés. Ils subissent aussi le poids du système à un niveau. Ils ne sont pas les détenteurs réels du pouvoir. Ils sont dans les rapports de production et de la division sociale du travail comme l’esclave commandeur à qui le propriétaire ou le maitre d’esclave a attribué le rôle de garrotter (ou fouetter) son alter ego à moindre signe de fatigue et, il se croit être chef et se sent fier de remplir sa «noble tâche» pourtant pitoyable, indigne d’un être humain et indécente. En cela, il faut comprendre que le rôle de la police d’aujourd’hui n’est pas trop différent de celui de l’esclave-commandeur. Cela ne sous-entend pas pour autant de disculper la police dans ses forfaits, mais tout au moins de prendre un peu de recul pour pouvoir avoir une position plus nuancée surtout quand on considère que toutes les institutions publiques du pays sont perverties, corrompues.


Un cadre juridico-éthique pour réglementer les actions de la PNH


Les exactions et les actions arbitraires de la PNH contre la population est la conséquence de l’absence d’un cadre juridico-éthique de fonctionnement.

En considérant aussi que la société fait face à un effondrement de valeurs d’éthiques et de morales, on est amené à admettre que la police ne serait en aucune façon épargnée. Si toutes la société souffre d’un déficit humanitaire, or, la police est une entité de cette même société en déconfiture qui se déshumanise de plus en plus et de manière exponentielle, donc, elle aussi, s’animalise davantage. La bêtise est virale. Car, la société produit les institutions qui la ressemblent, sinon qui lui conviennent. D’autant plus que nos agents de police ne sont pas les mieux éduqués. Beaucoup d’entre sont sous-éduqués. Ceci dit, leur niveau d’humanité est limité voire rachitique. D’ailleurs, il faut admettre qu’Haïti est transformée, bien évidemment, en une jungle.


Quand l’ancien président dominicain, Hipolito Meija vient de déclarer qu’Haïti n’est pas un pays, mais plutôt une jungle, pensez-vous qu’il exagère ou qu’il est méchant envers le peuple haïtien ? Moi, en tout cas, je ne le pense pas. Notre fonctionnement en témoigne. Une déclaration des puissants chefs de gangs peut vous donner une idée de notre degré d’animalité. Prenez par exemple le cas de cette déclaration du chef de gang de Savien, le nommé Lucson, à l’endroit du Maire par intérim placé dans la commune de Liancourt par M. Jovenel Moise de son vivant, puis vous me donnerez raison. Sauf dans une jungle que des chefs de gangs criminels peuvent être si arrogants. Ce chef de gang, sous l’égide de qui, une demie douzaine de nos policiers vient d’être assassinés implacablement, a fait savoir dans une note vocale qu’il travaillait et travaille en étroite collaboration avec le Maire ad intérim, Ducamel MERCY, alias Cameau. «C'est moi qui alimente vos entrepôts en fer et ciment, clame-t-il haut et fort?». Quand ils détournent des camions transportant ces marchandises, son client privilégié, c’est bien le maire de la commune de Lyancourt où il vient de perpétrer son assaut contre les locaux et les agents de la PNH.


Il a ajouté que c’est bien vrai qu’il alimente les business du maire Cameau en fer et en ciment, à crédit, mais en plus, il finance «l’autorité » mis en place par l’ancien chef de l’État régulièrement pour nourrir certaines unités spécialisées de ladite police nationale d’Haïti. Notre police se nourrit au frais des gangs criminels contre qui ils sont censé être en guerre en permanence. Le premier citoyen de la commune leur a donné feu-vert de cambrioler comme ils veulent sur la route nationale numéro 1 à condition qu’ils alimentent ses entrepôts en matériaux de construction et lui donne de l’argent pour prendre soin de ses policiers. Voilà où nous en sommes. Il est l’ami-associé et bailleurs du «magistrat». Où est l’éthique dans tout cela ?


les policiers ont besoin de notre soutien


Faut-il sympathiser ou collaborer avec les gangs et/ou la police ?

En tout cas, on pourra m’objecter pourquoi faire la solidarité avec une police corrompue et criminelle et non pas avec les gangs qui sont aussi criminels, étant donné qu’ils sont tous de notre classe ? À cette question, je répondrai que la police est une institution légale et légitime mise en place par la société à travers ses dirigeants dans un but clair et utilitaire. En ce sens, il est censé être notre émanation. Nous avons un certain droit de regard sur elle, comme étant littéralement notre progéniture. Deuxièmement, tous les agents de la police ne sont pas des criminels, mais ceci n’est pas vrai pour les gangs. On ne peut pas être dans une association de malfaiteurs sans être malfaiteur. De surcroit, il y a un cadre juridique qui régit l’institution policière, on peut porter plainte contre un policier qui vous a agressé, cela ne vaut pas pour les malfrats de grand chemin qui n’ont que leur caprice, la drogue comme Règle de conduite et loi dictant leur agissement. On peut rajouter aussi que mêmes ces agents criminels qui sont au sein de la PNH nous rendent, du moins même une fois, des services. Donc, les membres de la police qui sont impliqués dans la criminalité ne sont pas d’une inutilité absolue.


Fort de tout cela, je vous interpelle, mes chers lecteurs et mes chères lectrices à avoir de l’empathie envers nos frères et sœurs policiers et policières qui sont devenus la proie facile et préférentielle des gangs criminels institués par des puissants hommes et femmes des classes dominantes pour nous détruire. Quand l’État a créé, armé, fédéré, entretenu systématiquement ses gangs contre la population sans arme et contre la PNH, cette dernière devient une victime comme tout le reste la population et mérite en conséquence notre solidarité, notre appui, notre soutient et notre sympathie. Le contraire serait injuste de notre part. Il est inhumain de dire que l’assassinat des policiers ne me fait ni chaud ni froid, car il collabore aux gangs et nous tirent dessus quand nous manifestons. Cela, je le trouve trop simpliste comme jugement.


S’exprimer ainsi peut témoigner un peu trop de naïveté, d’inhumanité et d’une vision à la fois courte et étriquée de ce problème sociétal pourtant très complexe. Nous devons supporter la police contre vents et marrées en dépit des reproches et critiques légitimes et fondés que nous avons contre elle. Sous aucun prétexte, nous ne devons pas rester indifférents face aux actes innommables dont sont victimes nos frères dans cette institution pourrie. Notre progéniture est laide, mais c’est nous-mêmes qui l’avons engendrée tel qu’elle est. Ne jetons pas l’enfant avec l’eau du bain ! Nous pouvons apprivoiser notre police.


Par Jean Willy Belfleur

Philosophe

Enseignant-chercheur

Ms en pédagogie


Bibliographie :

Gilbert MURY, Engels théorie de la violence, Union Général d’Édition, Paris, 1972.

Nicos POULANTZAS, l’État le pouvoir le socialisme, Presses Universitaires de France, Paris, 1978.

Alain BADIOU, Pornographie du temps présent, librairie Arthème, Fayard, 2013.

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