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La Covid-19 dessine un monde nouveau

Dernière mise à jour : 22 janv. 2022

echoayiti.com

Un micro-organisme bouleverse les données de la planète. Parti de la Chine en décembre 2019, il s’est propagé à la vitesse de la lumière sur tous les continents. Cependant, l’Europe et l’Amérique du Nord en sont les plus durement touchées avec plus de 85 % des infectés et 75 à 80 % des décès (au 13 avril 2020). Ce qui passe à l’heure actuelle était totalement imprévisible. L’analyse de ses enjeux géopolitiques passionne les experts en relations internationales.


Cependant, aucun d’entre eux n’avait prévu les bouleversements en cours, pas même à travers de scénarios possibles. Une nouvelle ère s’abat sur le monde marqué par la fin de l’utopie du «village global» de Mcluhan, le rejet de l’unipolarité (avec les USA comme seul pôle dominant) et l’affirmation de la multipolarité. Eu égard à ces éventuelles mutations, en quoi la crise du covid-19 peut-elle affecter les rapports de force entre les puissances et désagréger les systèmes d’alliances entre ces dernières ? L’émergence de l’Asie avec la Chine qui commence déjà à jouer le rôle de pompier dans le monde notamment dans la tragédie de l’Italie abandonnée par l’Union européenne et délaissée par les USA absorbés par leur catastrophe sanitaire interne, n’est-elle pas un signe du déclin de la prééminence du monde occidental et la remise en question de la suprématie américaine dans le monde pour favoriser le rééquilibrage des rapports de force à l’échelle planétaire? Autrement dit, est-on en présence du nouvel ordre mondial ?


Le déclin de l’Occident

En géopolitique, le concept «monde occidental» fait référence généralement à l'idée d'une civilisation commune, héritière de la civilisation gréco-romaine. Son emploi actuel sous-entend également une distanciation voire une rivalité avec soit le reste du monde, soit une ou plusieurs autres zones d'influences du monde comme le monde arabe, le monde chinois ou encore la sphère d'influence russe. Pour Samuel Huntington, professeur à Harvard et écrivain américain, la civilisation occidentale se compose de trois grands ensembles : l'Europe, l'Amérique du Nord et l'Océanie (Europe de l'Ouest, États-Unis, Canada, Australie et Nouvelle-Zélande), fondée sur le christianisme. L'Amérique du Nord s'est longtemps définie contre l'Europe. Pour Huntington, ce n'est qu'au xxe siècle, alors qu’elle prend le commandement de «l'Occident» qu'elle se reconnaît «européenne». En gros, l’Occident rassemble l’ensemble des civilisations euro-américaines. Dans le choc des civilisations, l’auteur affirme que les pays d’Europe doivent se ranger derrière les USA pour préserver cet héritage culturel et faire face à l’islam conquérant. Sur cette base, et pour d’autres raisons politiques et stratégiques, tout un ensemble de réseaux d’alliances fut tissé entre l’Europe et l’Amérique du nord pour lutter contre les menaces extérieures. En témoigne la solidarité américaine envers le vieux monde après la Seconde Guerre mondiale dans le cadre du plan Marshall (1948-1952), le soutien américain à l’Angleterre, lors de la guerre des Malouines (1983), la solidarité de l’Europe aux USA au cours de la deuxième guerre du Golfe (1991) face à l’Irak et pendant la guerre d’Afghanistan (2001-2014) après les attentats du 11 septembre 2001. La Covid-19 a déchiré le tissu des relations du monde occidental. Il a désagrégé les réseaux d’alliance et démasqué l’hypocrisie de la solidarité entre les nations. Le président Donald Trump, principal leader de ce bloc occidental, a relâché tous ses alliés européens qui se noient dans la crise sanitaire. Il ferme ses portes à l’Europe entière, se concentrant sur les problèmes internes pour essayer de trouver des réponses appropriées qui tardent à venir.


Dans le monde occidental, toutes les populations sont confinées, tous les chefs d’État travaillent de manière séparée sans aucune velléité collective comme ça s’est manifesté en temps de guerre en particulier contre Saddam Hussein (2006), Mouammar Kadhafi(2011) et les Talibans (2001), tous les vols commerciaux suspendus, toutes les églises fermées, etc. Le 23 mars dernier, le Pape François a célébré la traditionnelle messe des Rameaux à la basilique de Saint Pierre dans un univers désertique, le libéralisme économique (le capitalisme) et politique (la démocratie), l’évangile de l’Occident, cède la place à l’interventionnisme et on assiste à la confiscation des libertés individuelles par l’État. Comme de petits poissons pourris, les cercueils s’entassent en Italie, Espagne, France et en Angleterre dans des fosses communes, au mépris de la dignité humaine et des droits humains, un des piliers de l’édifice occidental. L’Occident est ébranlé dans ses assises les plus profondes.


Les limites du capitalisme

Le capitalisme, ce système économique fondé sur la propriété privée des moyens de production et surtout caractérisé par une logique d’accumulation sans fin du capital, supposant la création permanente de plus-value et de profit ainsi que la marchandisation des valeurs et des biens susceptibles de satisfaire les besoins, montre ses limites. En tant que source de misère pour les travailleurs et d’inégalités sociales, il alimente l’opportunisme et l’égoïsme et, ce faisant, il contribue à détruire les solidarités, les liens sociaux, le bien-être de l’homme au bénéfice du capital.


Dans les grandes sociétés capitalistes occidentales (USA, France, Allemagne, Angleterre, Italie, Espagne, etc.), il y a lieu de constater des rivalités en termes de budget militaire au mépris des recherches dans le domaine de la santé. Dans ces sociétés, des maladies légères comme la grippe font silencieusement des ravages chaque année (650 000 décès/année,OMS ). Pourtant, Donald Trump , voulant garder les avances des USA sur les autres puissances rivales, a créé une nouvelle unité au sein de l’armée américaine baptisée «armée de l’espace», et il a ajouté cette année 22 milliards de dollars sur le budget de son armée passant de 716 (2019) à 738 milliards (2020) de dollars, ce qui représente 16 fois plus que celui de la Russie et presque le budget de tous les pays du monde cumulé alors que des Américains pauvres, ne pouvant se payer le luxe d’étudier la médecine chez eux, obtiennent des bourses d’études à Cuba pour pouvoir concrétiser leur rêve de devenir soldats de la bouse blanche. Quel contraste ?


À l’heure actuelle, la révolution cubaine, étouffée et boycottée depuis sa genèse par les USA et tout le bloc capitaliste occidental, est à l’honneur dans le monde. Le coronavirus fait tomber les masques des défenseurs aveugles du capitalisme libéral et plonge les sociétés les plus développées dans une profonde crise sanitaire. Au lieu d’une armée traditionnelle avec des fusils meurtriers, des porte-avions et des chars, issus de la dernière technologie, destinés à enlever des vies humaines à l’instar de celle des USA qui a bombardé Hiroshima et Nagasaki en 1945, ravagé l’Irak, l’Afghanistan et la Libye, la révolution cubaine a construit une armée plus utile à l’humanité, celle des blouses blanches avec des stéthoscopes et des tensiomètres pour sauver des vies. Là où les pays capitalistes reculent, Cuba avance en force. En 2011, il a déployé sa flotte en Afrique de l’Ouest dans la bataille pour l’éradication de l’Ebola. En 2020, son armée est présente dans plus d’une trentaine de pays dont l’Italie et la France, deux pays capitalistes qui ont toujours soutenu les USA dans leur projet criminel contre le régime cubain. Qui l’aurait cru ? Des médecins noirs cubains allaient être un jour chaudement applaudis par des Italiens racistes et de surcroît capitalistes et détracteurs du socialisme. Qui l’aurait cru ? La France libérale et capitaliste allait autoriser ses départements d'outre-mer à revoir l’appui technique des blouses blanches cubaines, et les journaux français dont le Parisien allait placer en première page l’Interféron Alfa 2A, ce médicament cubain utilisé dans le traitement du coronavirus en Chine. Qui l’aurait cru ? Les USA, en tant que gendarme du monde, allaient fermer leurs portes à l’Europe, et laissent l’Italie à la merci de Cuba, Chine et Russie, trois «pays communistes». En termes clairs, la Covid-19 met en lumières les faiblesses des sociétés capitalistes occidentales dites développées et modernes. Il pourrait, à mon avis, contribuer au retrait de l’Europe sur l’échiquier international au profit de l’Asie qui montait en puissance depuis une bonne vingtaine d’années, et revivifier le communisme dans le monde affaibli depuis la chute du mur de Berlin(1989) et l’implosion de l’URSS (1991) avec les succès de Cuba et de la Chine dans le domaine médical et la solidarité qu’ils ont manifestée envers les États les plus vulnérables. Ne peut-on pas alors considérer cette pandémie comme le signe du nouvel ordre mondial qui redéfinirait les rapports de forces entre les puissances mondiales au profit de la Chine ?


Les illusions de l’UE tombent

Une semaine de crise avait suffi à faire tomber les masques de l’Union européenne. Ce que la France et l’Allemagne, les deux principaux ténors de l’intégration européenne, ont pris un demi-siècle à construire est remis en question par un micro-organisme. Devant l’ampleur de la catastrophe sanitaire au début du mois de mars, tous les pays membres de l’Union ont fermé leurs portes à l’Italie en dépit de son statut de nation fondatrice de cet espace d’intégration. Elle est laissée seule au mépris de la philosophie de l’UE qui est «la solidarité des peuples». C’est pourquoi l'ancien Premier ministre français, Manuel Valls, déclarait l'Europe pourrait «mourir par absence de solidarité» face à la crise de la Covid-19. À l’heure actuelle, ce sont l’Espagne et l’Angleterre qui pleurent des décès massifs. Le principe de solidarité est passé au second rang au profit de la survie individuelle. Car, chaque État définit ses propres stratégies, met en œuvre ses propres plans d’action pour faire face à la pandémie. Où est passée cette Europe unie dont Emmanuel Macron et Angela Merkel se vantaient ?


Par ailleurs, les extrémistes allemands donnent les derniers coups de massue à l’UE. Ils semblent vouloir réveiller les vieilles querelles. Bizarrement, des actes anti-français sont enregistrés en Allemagne. La Sarre, région allemande frontalière, a été marquée ces dernières semaines par des actes anti-français après que la région Grand Est voisine était déclarée zone à risques. Des crachats lors de promenades ou à la caisse de supermarchés, de «Retourne dans ton pays du Corona», ces propos xénophobes ont été scandés par des Allemands à l’endroit des français. En dépit de la condamnation de ces actes par les autorités allemandes au nom de l’amitié des deux peuples, ces agressions verbales se poursuivent en Allemagne. Il s’agit d’un acte isolé certes, mais assez significatif pour comprendre l’état d’esprit qui se développe en Europe à l’heure du coronavirus et montre à quel point cet espace d’intégration est fragile.


Le village global et la mondialisation mis à l'épreuve

«De toutes parts nous parvient l'information à vitesse accélérée, à vitesse électronique. On dirait que nous faisons tous partie (...) d'un petit village mondial.» C’est en ces termes que McLuhan a annoncé en 1969 la mise en marche du train de la mondialisation qui fera tomber les frontières et les obstacles à la libre circulation de l’information, des marchandises et des capitaux. Élie Cohen, dans Mondialisation: les défis, abonde dans le sens et soutient que : «depuis 1989, la montée des périls, l’ère du monde fini a commencé. La planète semble complètement unifiée, gagnée par une logique d’échange marchand. Le monde que nous décrit Thomas Friedman, «un monde plat», un monde où les frontières ont disparu, où elles ont été arasées, un monde où circulent en temps réel des flux permanents d’informations, de biens et d’argent, ce monde-là semble bien être le nôtre. Il faut être singulièrement pessimiste pour imaginer qu’à nouveau des barrières s’élèvent, que des nations s’auto-protègent et que les échanges soient ralentis. La Covid-19 fait tomber les illusions du village global et l’optimisme des défenseurs de la mondialisation de l’économie libérale. Les frontières qu’on croyait être supprimées refont surface comme nous venons le voir dans le cas de l’Union européenne. Les espaces d’intégrations économiques et commercial comme ALENA, MERCOSUR sont pour le moment dysfonctionnels, la circulation des hommes et des femmes est bloquée, le transport des marchandises est considérablement réduit, le transfert des capitaux est ralenti. Les illusions du village global et de la mondialisation tombent devant l’évidence des faits.


La crise du Coronavirus survient à un moment où les tensions entre Pékin et Washington sont à leur paroxysme. Elle montrait la puissance de la Chine qui a su construire deux hôpitaux d’une capacité de 2600 lits en dix jours, et maîtrise la propagation du virus dans quelques semaines contrairement aux USA qui s’enfoncent dans une catastrophe sanitaire sans précédent. Pour faire oublier l’origine de cette crise, les avions et les navires chinois bourrés de marchandises distribuent des matériels médicaux partout à travers le monde même aux USA, restés impuissants devant les parades de la rivale asiatique.


C’est pour la première fois, en plus de 50 ans, que l’Amérique n’exerce aucun leadership dans une crise de portée mondiale et se trouve dans le camp des victimes. Par rapport à ce virus qui s’est propagé à la vitesse de la lumière dans le reste du monde, Donald Trump, en panne d’idées et de plan d’actions, se lance dans un combat stérile contre le déploiement des blouses blanches cubaines à l’extérieur et contre la révolution chaviste. Ne pourrait-on pas interpréter son inertie comme la fin de la suprématie américaine dans le monde ou un changement de paradigme dans les relations internationales américaines ?


Desroses Bleck D

Professeur de géopolitique

christopher.bleckedward@gmail.com

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